Derrière un rideau de bambous, dans les coulisses du “temple sur l’eau”, de drôles d’acteurs se préparent à surgir. Non pas de chair et de sang, mais de bois et de légèreté. Il s’agit de figurines au caractère irréel et merveilleux, de marionnettes engendrées par la culture des rizières. Ces petites poupées glissent sur l’eau, sur une mare ou un étang, scène improbable d’un théâtre ancestral.
Le début de la représentation peut commencer avec l’apparition attendue d’un paysan jeune et grassouillet, le populaire et désopilant Teu. Ce brave type enjoué, un rien clownesque, ravit le public. Grands et petits l’apprécient. Il commente le programme, taquine les jeunes spectatrices, arbitre les combats. Bouffon et meneur de jeu, ce personnage jovial incarne l’âme du peuple vietnamien prêt à rire et à critiquer. De scène en scène, sur un “plateau liquide”, les paysans pêchent la grenouille, repiquent le riz, élèvent des canards. Les chevaux galopent, les buffles tantôt combattent tantôt arpentent les rizières, des poissons d’argent sautillent. La vie rurale et le quotidien des paysans constituent, avec des références aux mythologies locales et aux récits historiques, les trames du répertoire. Des animaux fabuleux jaillissent des flots. Les dragons saluent l’audience et dansent avant de réapparaître plus tard pour cracher le feu et l’eau. Un étrange bestiaire, composé d’animaux de légendes, participe à cette mise en scène à fleur d’eau. Phénix, licorne et tortue d’or se succèdent. Plus martiales, des scènes de lutte, de bataille navale, de défilé de troupe ou de course de pirogues ponctuent cette superproduction en miniature. Personnages historiques et parfois légendaires, dignitaires de la cour, cavaliers apparaissent à l’instar de belles immortelles exécutant une danse céleste. Les pétards crépitent, éclatent en rafale. Le feu et la fumée enflamment l’imaginaire.
Sur le côté du castelet en partie immergé, flamboyante construction à l’image d’une pagode, un petit orchestre et des chanteurs accompagnent ce spectacle. Les marionnettistes, dans l’eau jusqu’à la ceinture et cachés du public, manipulent avec des perches - des tiges de bambous de plusieurs mètres - les petits acteurs hauts d’environ quarante centimètres, sculptés dans du bois dur et peints de couleurs éclatantes. Les membres de la troupe tirent les fils. Bien que d’apparence simple, les marionnettes sur eau du Vietnam ont des mécanismes ingénieux qui exigent une animation complexe. Naguère, les villageois, de père en fils, se transmettaient en secret les techniques de fabrication. Des chefs de troupe voulant protéger leur art n’hésitaient pas à s’opposer à des mariages quand la belle-famille était originaire d’un autre village. Ils voulaient éviter que de jeunes époux divulguent dans les feux de l’amour les mystères de la création !
Ce divertissement séculaire a failli disparaître à tout jamais. Depuis la nuit des temps, les gens de la rizière pratiquaient cet art dans plusieurs pays d’Asie, spécialement en Chine, avant de sombrer dans les eaux de l’oubli. Unique pays au monde, aujourd’hui, à conserver vivante cette forme de spectacle aquatique, le Vietnam demeure l’héritier d’un patrimoine millénaire. Seuls les paysans de différents villages du Nord, situés sur le delta du Fleuve rouge, ont su préserver ce théâtre de marionnettes. La référence la plus ancienne de cette expression artistique, dont on ne connaît pas avec certitude la date d’apparition, est inscrite sur une stèle de 1121 contant des cérémonies royales du début de la dynastie des Ly (lire l’encadré). Le texte mentionne que ce spectacle ayant atteint une telle perfection avait été jugé digne d’être présenté devant le roi. Cette époque est considérée comme son apogée. Des fêtes villageoises au raffinement de la cour, ces petits sujets connurent un immense succès.
A l’invitation de la Maison des cultures du monde, à Paris, le théâtre de marionnettes sur eau fut présenté pour la première fois en France en 1984. Au fil des ans, ses personnages enchantèrent le public, notamment du Cirque d’Hiver et de la piscine Deligny. Depuis, ils parcourent le monde et font figure de célébrités. A l’heure du “tournant de la modernisation”, lancé, en 1986, par le mot d’ordre de “renouveau” (Doï Moï), le pari d’éviter l’extinction de ce théâtre semblait encore hasardeux. Les artistes devaient serpenter sur la sente étroite de la création entre la nouvelle et redoutable logique mercantile indifférente au spectacle vivant et les tenants d’une stricte ligne idéologique. Par bonheur, le vif intérêt des Occidentaux, professionnels et publics confondus, ainsi que l’ouverture du pays au tourisme ont favorisé la renaissance d’une tradition vouée à une mort annoncée. La troupe nationale fait des tournées internationales. Plusieurs compagnies et écoles transmettent désormais aux nouvelles générations le savoir-faire des anciens.
Malgré les heurts et malheurs de l’histoire, les années de lutte et de plomb, des villageois et intellectuels, fiers de leurs cultures et de leurs traditions, ont mené un combat, celui de donner une seconde vie aux marionnettes sur eau ou Mua Roi Nuoc (en vietnamien ), expression majeure des arts populaires vietnamiens. Une résistance culturelle réussie.
Source :http://www.lemonde.fr
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| Les poupees de Marionnette sur l'eau |
Sur le côté du castelet en partie immergé, flamboyante construction à l’image d’une pagode, un petit orchestre et des chanteurs accompagnent ce spectacle. Les marionnettistes, dans l’eau jusqu’à la ceinture et cachés du public, manipulent avec des perches - des tiges de bambous de plusieurs mètres - les petits acteurs hauts d’environ quarante centimètres, sculptés dans du bois dur et peints de couleurs éclatantes. Les membres de la troupe tirent les fils. Bien que d’apparence simple, les marionnettes sur eau du Vietnam ont des mécanismes ingénieux qui exigent une animation complexe. Naguère, les villageois, de père en fils, se transmettaient en secret les techniques de fabrication. Des chefs de troupe voulant protéger leur art n’hésitaient pas à s’opposer à des mariages quand la belle-famille était originaire d’un autre village. Ils voulaient éviter que de jeunes époux divulguent dans les feux de l’amour les mystères de la création !
Ce divertissement séculaire a failli disparaître à tout jamais. Depuis la nuit des temps, les gens de la rizière pratiquaient cet art dans plusieurs pays d’Asie, spécialement en Chine, avant de sombrer dans les eaux de l’oubli. Unique pays au monde, aujourd’hui, à conserver vivante cette forme de spectacle aquatique, le Vietnam demeure l’héritier d’un patrimoine millénaire. Seuls les paysans de différents villages du Nord, situés sur le delta du Fleuve rouge, ont su préserver ce théâtre de marionnettes. La référence la plus ancienne de cette expression artistique, dont on ne connaît pas avec certitude la date d’apparition, est inscrite sur une stèle de 1121 contant des cérémonies royales du début de la dynastie des Ly (lire l’encadré). Le texte mentionne que ce spectacle ayant atteint une telle perfection avait été jugé digne d’être présenté devant le roi. Cette époque est considérée comme son apogée. Des fêtes villageoises au raffinement de la cour, ces petits sujets connurent un immense succès.
A l’invitation de la Maison des cultures du monde, à Paris, le théâtre de marionnettes sur eau fut présenté pour la première fois en France en 1984. Au fil des ans, ses personnages enchantèrent le public, notamment du Cirque d’Hiver et de la piscine Deligny. Depuis, ils parcourent le monde et font figure de célébrités. A l’heure du “tournant de la modernisation”, lancé, en 1986, par le mot d’ordre de “renouveau” (Doï Moï), le pari d’éviter l’extinction de ce théâtre semblait encore hasardeux. Les artistes devaient serpenter sur la sente étroite de la création entre la nouvelle et redoutable logique mercantile indifférente au spectacle vivant et les tenants d’une stricte ligne idéologique. Par bonheur, le vif intérêt des Occidentaux, professionnels et publics confondus, ainsi que l’ouverture du pays au tourisme ont favorisé la renaissance d’une tradition vouée à une mort annoncée. La troupe nationale fait des tournées internationales. Plusieurs compagnies et écoles transmettent désormais aux nouvelles générations le savoir-faire des anciens.
Malgré les heurts et malheurs de l’histoire, les années de lutte et de plomb, des villageois et intellectuels, fiers de leurs cultures et de leurs traditions, ont mené un combat, celui de donner une seconde vie aux marionnettes sur eau ou Mua Roi Nuoc (en vietnamien ), expression majeure des arts populaires vietnamiens. Une résistance culturelle réussie.
Source :http://www.lemonde.fr















